L'axe "droit comparé des libertés" est dirigé par Céline Lageot et Florian Aumond.

I – Projets réalisés dans le cadre de l’axe Droit comparé des libertés

Le CECOJI a mené à bien plusieurs actions.

1. Projets de recherche

Les droits et libertés ne sont pas des objets juridiques ordinaires, ils font système au sein des systèmes de droit considérés, et cette systématicité les rapproche plus que n’importe quel autre objet de droit, de la société ou de la communauté de droit à l’intérieur de laquelle ils ont été formulés, c’est à dire de la culture dominante au sein de cette société ou communauté (Law as Culture)[1].

Les comparer n’est donc pas une simple opération de confrontation des normes fondatrices assortie d’une recherche hypothétique de points de convergence ou de divergence, c’est comparer des sociétés et/ou des cultures. Les obstacles sont bien réels et il n’est pas question de le nier. Il est même recommandé à notre avis de les monter en épingle pour mieux déplacer le curseur et à terme, les transformer en avantages de position.

Mais cette opération de contournement de l’obstacle n’est pas possible si l’on s’en tient à la méthodologie traditionnelle qui prévaut en matière de libertés[2]. Cette méthodologie prétend définir pour classer, et classer pour comprendre. La démarche ne manque pas d’intérêt, elle a même ses titres de noblesse, mais elle s’expose, en droit comparé à une objection simple : nous risquons en procédant de cette manière, de « décrire des propriétés superficielles » ou d' »énoncer des tautologies », en croyant formuler des lois générales, alors que nous ne ferons qu’accentuer les contradictions et disparités existantes[3]. Le péril n’est donc pas seulement celui de l’égocentrisme juridique, c’est aussi celui du blocage épistémologique ; et que forts de certaines certitudes nous nous condamnions au sur place.

Il importe donc d’inverser l’ordre des facteurs en recourant pour ce faire à une méthodologie peu usitée, celle du cas.

D’emblée il est permis d’affirmer que notre projet de recherches sur le droit comparé des libertés soulève des questions conceptuelles et méthodologiques importantes. Du côté des concepts tout d’abord, qu’est-ce que le droit comparé, les libertés, le droit des libertés ? Que recouvrent-ils ? Du côté de la méthode ensuite, que signifie l’étude de cas, l’étude par le cas ?

Nous avons réitéré notre volonté commune, depuis le lancement du projet au sein du CECOJI fin 2017 et les séminaires de travail et journées d’études qui en ont découlé avec des membres de notre laboratoire, mais avec d’autres collègues d’Universités partenaires aussi (Université de Toulon et Paris 1 Panthéon-Sorbonne notamment), de confronter l’étude des libertés à l’approche dynamique et critique du droit comparé, et en le faisant « par le bas », par une référence à l’étude de cas donc.

Cette recherche élargie nous incite déjà à sortir des zones de confort qui sont habituellement les nôtres, et nous invite aussi à envisager les sociétés traditionnelles, soit encore les sociétés holistes non occidentales, qui ne connaissent pas a priori la catégorie des droits de l’Homme inventée par les Modernes. Cette recherche élargie devrait nous permettre à terme d’établir une nouvelle cartographie des libertés à partir, non plus de systèmes ou de familles, mais de zones géographiques, un concept suffisamment objectif en soi pour nous éviter le piège de l’ethnocentrisme.

Dans nos sociétés occidentales, nous sommes en effet accoutumés à cette idée de primauté de l’individu, celle-ci faisant aussi partie de notre culture juridique. On peut même affirmer que cette primauté est axiologique. L’individu n’est pas en Occident un « être empirique », mais un « être moral » ou « éthique », autonome et libre. Une conception qui nous est propre et qui est si difficile à comprendre pour un non-Occidental… La révolution engendrée par les droits de l’Homme au XVIIIème siècle est inséparable de la révolution de l’individualisme et trouve son aboutissement dans la reconfiguration des liens entre l’Etat et l’individu.

Il s’agit donc pour nous aujourd’hui de proposer de façon inédite et originale un test de comparaison, une expérience : soit l’examen ouvert des libertés, par l’étude de cas. L’époque est à une remise en cause du droit étatique par le droit transnational et sinon, plus généralement, par un processus de mondialisation, voire de globalisation. La comparaison des droits s’inscrit dans ce contexte.  Elle fait partie de ces différents mouvements qu’il faudra donc identifier avec précision et peut contribuer à terme à repenser le rapport entre le droit et les différentes instances (l’économie en particulier, mais pas exclusivement) qui structurent la société. Elle devient, dans cette perspective, un moyen pour faciliter la coexistence entre les peuples, ou leur connivence.

Notre projet est enfin une invitation au partage, pouvant déboucher sur un approfondissement, voire un dépassement du concept de droit global.

1 – Qu’est-ce qu’un cas ?

Trois choses s’imposent immédiatement : un cas est une singularité ; un cas est une structure ; un cas est une généralité. Une autre définition du cas consiste à dire que celui-ci est une narration des états antérieurs, produisant une situation au présent.

Or, en liant ces deux approches, on aboutit à dire que le cas est une unité simple, représentée ou délimitée, et devant être vu dans une perspective narrative, c’est-à-dire compte tenu de toute une série d’états antérieurs (en ce sens, on peut parler de généalogie des cas).

Les nouvelles idées ou hypothèses issues d’une étude de cas ne peuvent pas d’entrée de jeu être érigées en lois universelles. Un cas pourra, dans un premier temps, permettre d’identifier des mécanismes sociaux, de construire des typologies exploratoires et théoriques, et plus seulement descriptives. Il pourra permettre, dans un second temps, de redéfinir un concept, en clarifiant son domaine de validité et ses contextes d’application, comme on l’a vu à propos d’une première approche expérimentale concernant le cas de torture (Journée d’études du 11 avril 2018 – Université de Toulon).

En somme, une étude de cas est fondée sur un paradoxe, tenant au fait qu’elle génère un travail systématique de comparaison à trois niveaux : une comparaison entre ce cas et d’autres cas appartenant  à la même  catégorie (exemple : le cas expérimental sur la torture et celui sur le rapport au vivant appartiennent à la même catégorie de libertés ) ; une comparaison à l’intérieur du cas, entre ses différents éléments (exemple : les différents éléments des cas de torture ou des cas qui ont trait au rapport au vivant) ; une comparaison entre les éléments appartenant à plusieurs cas (Cf. les différents éléments du cas sur la torture et du cas sur le rapport au vivant). L’étude de cas est donc par essence comparative.

2 – Première « expérimentation de cas » (Cf. la Journée d’études du 11 avril 2018 à Toulon)

Nous nous sommes concentrés à l’occasion de ce premier séminaire de travail sur les thèmes de la torture et du vivant et sur les différentes questions qui pouvaient en découler. Ces analyses ont en tout premier lieu surgi d’exposés historiques qui ont permis de situer ces questions.

a – L’exposé historique sur la torture (cf. les réflexions de J. Ruffier-Méray (Univ. de Toulon)) a démontré la permanence de certaines pratiques qui a posteriori nous apparaissent comme des cas de torture. Mais c’est avec les Lumières qu’apparait la problématique moderne de cette pratique, qui ne disparaît certes pas, mais est perçue de manière différente.

b – Les deux exposés suivants  (T. Petelin et M.-E. Laporte-Legeais (Univ. de Poitiers)) ont été consacrés à des propositions de questionnaires détaillés, mais aussi neutres que possible, relatifs à la problématique du « rapport au vivant ». Ces questionnaires ont aujourd’hui permis l’élaboration d’un méta-cas inspiré de la pandémie mondiale de la Covid-19.

3. Première « expérimentation méthodologique » (Cf. la Journée d’études du 11 juin 2019 à Poitiers)

L’étude de cas, et par les cas, à propos du droit comparé des libertés devrait nous éviter tout dérapage. Elle devrait aussi nous livrer une grille d’analyse pour concilier la diversité des systèmes analysés.

Pour ce, deux impératifs s’imposent à nous : 1) dégager à terme des zones géographiques significatives qui, par l’étude de leurs droits, nous apprennent quelque chose sur cette zone, si l’on  admet – comme nous le proposons – que le droit est un analyseur du social. 2) Considérer que le droit est un fait complexe de culture, impliquant et exprimant la diversité, l’économie, la religion, la coutume, la tradition, la politique, la philosophie, etc…

Mais trois dangers sont aussi à éviter : le danger du « présentisme », celui du scientisme et celui du relativisme plus ou moins radical. Où l’on retrouve la question du droit global et celle de son dépassement nécessaire…

Certains problèmes très contemporains ne sauraient masquer des thématiques anciennes relatives aux libertés, même si ces thématiques sont en perpétuel renouvellement ou réajustement.

La vérité imposée ne saurait non plus étouffer les vérités, multiples et variées, surtout en matière de libertés, les différentes approches du droit révélant la diversité culturelle.

Une obligation éthique s’impose à nous dans ces conditions : rechercher dans cette diversité le plus grand dénominateur commun, ou un standard minimum commun, soit encore et toujours l’Homme.

a – Expérimenter : les droits à l’épreuve des cas

Le cas est une épreuve singulière. Il possède cette propriété singulière de jeter sur eux une certaine lumière, de les faire réagir, ou de les faire parler. Le cas n’est donc pas seulement une affaire, c’est une boussole permettant de s’orienter, un test grandeur nature. Luc Boltanski et Eve Chiapello appellent cela une épreuve, en donnant à ce terme une double acception : un évènement critique, révélateur d’une faille, d’un échec du droit.[4]

Cette prise de conscience critique est de nature à permettre de reconstituer à l’aide d’une analyse dont certains éléments seront empruntés à la sociologie, à l’anthropologie, à l’économie voire à la philosophie une cohérence systémique proclamée par les juristes en des termes souvent généreux, mais rarement prouvée.

b – Prouver : les systèmes  juridiques à  l’épreuve des sols

La référence à la géographie ne doit pas induire en erreur : les territoires en question ne sont pas nécessairement délimités par des frontières, ce sont des aires culturelles qui, comme telles, contribuent à la structuration de la règle de droit (Europe, Chine, Afrique, Océanie, Amérique du Nord et du Sud …). Mais ces territoires ou aires culturelles sont également susceptibles d’être concurrencés par d’autres systèmes normatifs : normes juridiques transnationales, droit global, ordres juridiques locaux[5]. Enfin, des arbitrages ont lieu entre ces différents ordres, par exemple, les décisions des cours constitutionnelles.

L’étude des libertés devra nécessairement prendre en compte ces interactions multiples pour en faire un objet à part entière, en dépassant au besoin les limites des systèmes existants.

c – Conclure : un commun des libertés ?

Sur la base des données rassemblées à partir du méta-cas élaboré à propos de la pandémie de la Covid-19, il devrait être possible de jeter les bases d’une théorie générale des libertés fondée sur une analyse réaliste des droits positifs. L’idée du commun rejoint un mouvement plus profond qu’il sera intéressant d’approfondir, d’un point de vue critique.

LE PASSÉ

Séminaires, journée d’études et colloque ayant déjà eu lieu : (fin 2017- juin 2020)

–  6.11.2017 (séminaire à Poitiers – CECOJI ) ;
–  31.1.2018 (séminaire à Poitiers – CECOJI ) ;
– 11.4.2018 (journée d’études à l’Université de Toulon) ;
– 29.6.2018 (séminaire à Paris –IREDIES) ;
– 20.9.2018 (séminaire à Poitiers – CECOJI UP) ;
– 11.6.2019 (colloque international à l’Université de Poitiers – parution des actes à la LGDJ, collection de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers fin 2020 sur « L’analyse par cas : une méthode pour le droit comparé des libertés ? »)
– 26.6.2020 (colloque international à l’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne – parution des actes à la LGDJ, collection de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers fin 2021 sur « Culture(s) et Liberté(s) »). Ce colloque n’a malheureusement pas pu se tenir et a été reporté à une date ultérieure en raison de la crise sanitaire. L’inversion de la démarche a donc été envisagée. Les travaux écrits sont en cours et les communications orales auront lieu dès que les conditions sanitaires nous le permettront.

2.      Publications

– L’analyse par cas : une méthode pour le droit comparé des libertés ?, dir. C. Lageot et J.J. Sueur, parution des actes du colloque à la LGDJ, collection de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, fin 2020.
– Culture(s) et Liberté(s), dir. L. Burgorgue-Larsen, C. Lageot et J.J. Sueur parution des actes du colloque à la LGDJ, collection de la Faculté de droit et des sciences sociales de Poitiers, début 2022.

 

II – Projets à venir dans le cadre de l’axe Droit comparé des libertés

Séminaires, journée d’étude et colloque à venir : (2021-2023)

– Finalisation du méta-cas inspiré par la pandémie de la Covid-19 (séminaire de travail entamé le 18 octobre 2020). Traduction du cas en anglais. Envoi du méta-cas pour résolution à nos collègues étrangers des aires culturelles incontournables aujourd’hui (Inde, Chine, Russie, Turquie notamment).

– « Culture(s) et Liberté(s) » – Colloque pluridisciplinaire à l’Univ. de Panthéon Sorbonne (date à fixer dès que les conditions sanitaires le permettront de nouveau en 2022)

–  Analyse de droit comparé à partir des retours effectués par nos collègues étrangers à propos du méta-cas. Publication sous forme d’ouvrage (chez Bruylant) et/ou de e-book des fruits de l’analyse de droit comparé fin 2022.

 

[1]  Cf. pour une réflexion d’ensemble sur la question l’ouvrage de Marie-Claire Ponthoreau, Droits constitutionnels comparés, Economica, 2010. Voir plus particulièrement la pensée culturaliste de J. Bell, « La comparaison en droit public », Mélanges en l’honneur de Denis Tallon, Société de législation comparée, 1999, p. 34.
[2] Olivier Beaud «Remarques introductives sur l’absence d’une théorie des libertés publiques dans la doctrine publiciste. Ouverture d’un colloque de l’Institut Villey », Jus Politicum, n° 5.
[3]  Claude. Lévi-Strauss,  Leçon inaugurale prononcée  au collège de France le 5 janvier 1960
[4]Le Nouvel Esprit du capitalisme, Gallimard, 1999, p. 73
[5] Boaventura de Sousa Santos: Vers un nouveau Sens Commun juridique. Droit, Science et Politique dans la transition paradigmatique, LGDJ/Droit et Société, 2004, p. 272 ; D. Pestre, A contre-science. Politiques des savoirs des sociétés contemporaines, Seuil, 2013

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