Dans le cadre du Festival A Corps et sa JE « Quand le corps embras(s)e » (16-17 avril) co-organisée par le CECOJI, le FoRelliS, le TAP et l'OARA à laquelle participeront notamment Nathalie Martin-Papineau et Alexandre Portron, je vous transmets les vives inquiétudes de l’ancienne directrice des études de danse contemporaine au Conservatoire de danse, musique et théâtre de Poitiers (CCR). L'élue RN Pauline Garraud a en effet dénoncé la création d’Olivia Grandville « Débandade » et dans son sillage, le Centre chorégraphique national de La Rochelle. Quand l’art dérange, il y a lieu de se mobiliser. Céline Lageot

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En Nouvelle-Aquitaine, le RN rêve de réduire la danse contemporaine à un “art pur”
Une élue RN a violemment stigmatisé le Centre chorégraphique national de La Rochelle, coupable à ses yeux de promouvoir un art jugé trop “militant”. Un jugement qui rappelle la sombre étiquette de “l’art dégénéré”.
La conseillère RN Pauline Garraud a fustigé « Débandade », la dernière création d’Olivia Grandville, où des danseurs interrogent leur masculinité. Photo Laurent Philippe/DivergencePar Olivier Milot, Publié le 27 mars 2025

 

La conquête du pouvoir passe aussi par celle du pouvoir culturel. Le Rassemblement national l’a bien compris. S’il reste plutôt discret sur le sujet au plan national et peu prolixe dans ses programmes électoraux – où la culture est souvent réduite au patrimoine, à la francophonie et à sa volonté de privatiser l’audiovisuel public –, il n’en va pas de même dans les exécutifs locaux. Là, ses élus mènent un combat permanent contre certains festivals, l’audiovisuel public (toujours), la création contemporaine dès lors qu’ils la jugent engagée, et, d’une manière générale, tout un pan de la culture quand elle s’empare de sujets de société comme la religion, le genre ou l’immigration.

Cette stigmatisation conduit parfois à des dérapages d’un autre âge, comme ce fut le cas lors de la séance plénière du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine du 17 mars. Dans une intervention préalablement rédigée et manifestement lue au mot près, la conseillère RN, Pauline Garraud, expose les raisons qui conduisent son groupe à s’abstenir d’autoriser le président du conseil régional de signer avec l’État et d’autres collectivités les conventions pluriannuelles d’objectifs des Centres chorégraphiques nationaux (CCN) de La Rochelle et de Biarritz. Des outils de pilotage intelligents qui assurent aux CCN un financement de moyen terme par la puissance publique, en échange d’une feuille de route préalablement définie.

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Dans sa justification, Pauline Garraud oppose les deux CCN. D’un côté, le vilain petit canard rochelais dirigé par Olivia Grandville, qui « semble opter pour une vision artistique engagée reflétant les mutations de la société contemporaine […] et souhaite développer un projet de CCN ouvert à la transition écologique, sociétale, générationnelle, et culturelle […] » Un projet révolutionnaire en 2025… Avant de s’en prendre à l’une des créations de la chorégraphe conçue en 2021, Débandade, où huit jeunes danseurs, de nationalités et de parcours divers, partagent leur vécu d’homme depuis #MeToo. « Est-ce donc cela la danse aujourd’hui en Nouvelle-Aquitaine, vecteur d’idéologie avant d’être un art ? », s’interroge la conseillère RN, qui assène alors sa vision : « La danse ne doit pas diviser. […] Lorsqu’une œuvre chorégraphique s’inscrit trop explicitement dans une logique militante, elle cesse d’être un espace de liberté pour devenir un instrument de communication. »

Heureusement, tous les CCN ne se ressemblent pas, se rassure Pauline Garraud, car en Aquitaine il y a aussi celui de Biarritz, dirigé par Thierry Malandain, soit, pour elle, « un exemple de danse sans idéologie qui illustre cette volonté de préserver une danse fondée sur l’esthétisme et l’émotion ». « Ce type de démarche rappelle que la danse peut exister en tant qu’art pur […]. » Pas sûr que Thierry Malandain et les danseurs du ballet de Biarritz adhérent à cette conception d’une danse esthétisante et vidée de sens. Mais surtout, quelle serait la définition de cet « art pur » ? Ses normes esthétiques ? Ses limites ? Faut-il y voir le double inversé de cet « art dégénéré », mis au ban par les nazis et qui fait l’objet d’une passionnante exposition au musée Picasso à Paris, prise d’assaut par le public ? Et si, demain, le RN arrivait au pouvoir, les CCN pourraient-ils encore être financés par la puissance publique s’ils ne se ralliaient pas aux canons de cet art pur ?

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La sortie de la conseillère RN a en tout cas immédiatement été taclée par la vice-présidente en charge de la culture du conseil régional, Charline Claveau. « J’ai du mal à comprendre si vous ne respectez pas l’expression des artistes comment vous allez par la suite respecter l’expression de vos concitoyens si un jour vous arrivez au pouvoir. C’est une bien piètre idée que vous vous faites de l’esprit critique de nos concitoyens si vous confondez culture, art et communication. » Il y a deux jours, l’Association des centres chorégraphiques nationaux, coprésidée par Olivia Grandville, a à son tour réagi à ces propos en des termes approchants. Dans une lettre envoyée à Pauline Garraud, que nous avons pu lire, l’Association exprime sa « vive inquiétude » et rappelle que « depuis les débuts de la décentralisation culturelle, les politiques publiques en France se sont toujours gardées de juger la valeur esthétique d’une œuvre ou d’un projet », laissant cette faculté « à la libre appréciation du public, des critiques, des diffuseurs, des chercheurs et des historiens de l’art ». Soit une des définitions possibles de la démocratie.

Catherine MEYER

 

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